22 mars 2009

OBSCURITE

La salle du cyclope était vide. L'homme s'en approcha en réprimant un frisson: il détestait la ville basse, ses habitants sournois et son odeur d’impiété, mais plus encore il haïssait devoir admettre qu'il avait échoué. La moisson était mûre et le blé avait été coupé : la cible était morte, mais le colis avait disparu en même temps que ce fichu gamin. Foutre! A-t-on vu un monde où le fermier est privé de sa juste récolte par un enfant ? Sa seule consolation était que les indices laissés désignaient les foirineux et eux seuls, car maudits soient ceux qui manipulent l'arbalète qui insulte la face du Grand Architecte. Bon débarras ! L’homme fit un pas de plus vers la mécanique qui resta obstinément muette. Il ne manquait plus que ça: le cyclope était endormi.

A l'autre bout du district, Grondin se tordait les poings. Le mur face à lui était couvert d'affichettes avec le portrait, le signalement et le nom de personnes disparues. Pour la plupart il s'agissait d'enfants. Le sergot en uniforme releva le nez de son mécascripteur.
- Vous dites que ce garçon est allé au camp des foirineux?
- Oui, il ne voulait pas que ça se sache mais j'ai retrouvé sa barque là-bas... Pas de trace de lui, ni des voyageurs, d'ailleurs.
L'homme derrière la table hocha la tête, l'air concentré.
- Bien, tout ce que nous pouvons faire c'est mettre des affiches avec le portrait de votre protégé sur les murs et bloquer le secteur.
- Vous pensez que les foirineux...
Grondin ne finit pas sa phrase. Ce qu'il n'arrivait pas à comprendre, c'était comment la Girouette avait pu se laisser berner à ce point: il était de notoriété publique que les foirineux enlevaient des enfants pour ensuite, par des sévices horribles, les déformer et en faire des êtres capables d'attirer la pitié des gens normaux. Il se rencogna sur sa chaise et écouta le sergot lui relire sa déclaration.

La Girouette se réveilla d'un coup, dans le noir. Il tâtonna pour retrouver son mâche-feu qu'il peina à allumer. Dans cette galerie secondaire il n'y avait aucune source de lumière, pas même celle des spores qui couvraient les murs des régions les plus humides du cloaque. Le garçon réfléchit un long moment, tête baissée, avant de s’apercevoir qu’il était en train de gratter la tache au creux de sa main. Il réprima un sanglot en ouvrant la paume : la peau était à vif et la décoloration semblait avoir gagné du terrain.

La seule personne à qui il avait montré sa main était le vieux guérisseur au camp des foirineux. Le rebouteux lui avait fourni un remède temporaire et promis plus s’il pouvait revenir. Le garçon réfléchit. Sans le remède, il allait très vite être identifié comme infecté et rejeté aux limites de la ville, dans le gouffre-monde. Non ! Il devait y avoir une autre solution. Soudain fébrile, la Girouette attrapa son sac et se dirigea vers les niveaux supérieurs. Il restait encore un espoir : il connaissait le lieu où les foirineux retournaient sempiternellement dès qu’ils pliaient leurs tentes…

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