28 février 2009

LES FOIRINEUX

Après le travail les équipes se retrouvaient souvent pour prendre un porridge d'algues à la cantina du sous-secteur mais la Girouette avait mieux à faire. Il salua Grondin et monta dans le canot à fond plat. Dans la zone du cloaque c'était de loin le meilleur moyen de communication, surtout depuis la mise en eau du quartier sur les ordres du Cyclope. On avait installé à intervalles réguliers des anneaux de fer permettant le halage mais la Girouette préférait utiliser sa gaule et prendre le temps d'observer les voûtes au-dessus de sa tête. On devinait parfois des sculptures sous l'épaisse couche de salpêtre et à la lumière de la lampe cela donnait une dimension féérique au trajet qui enchantait le garçon.

Quelques îlots émergeaient encore, protégés par des digues montées en catastrophe. Sur l'un d'eux s'étaient installés les foirineux. On les reconnaissait de loin au teint hâlé des gens du dehors. Leurs filles portaient des jupons, pourtant peu pratiques dans la fange, les hommes de petits couvre-chef avec une bande de satin. Une fois par semaine ils montaient des abris dans ce puits de ventilation vaste comme une cathédrale. Des braséros installés ici et là chassaient l'humidité mais ne nuisaient pas trop à la pénombre propice aux marchandages discrets de ce rendez-vous hebdomadaire. Dans un coin un montreur de Zorgs faisait pavoiser ses créatures affublées de gilets et de chapeaux, ailleurs un bonimenteur vendait des bandes de papier coloré sensé faire disparaître les odeurs, plus loin un homme à l'aspect caprin prenait des paris pour un combat de coquecigrues.

La Girouette marcha d'un bon pas vers l’abri du rebouteux. Il n'aimait pas venir ici à cause de la réputation des foirineux, mais il n’y avait pas d’autre endroit où trouver des remèdes, même pour qui était prêt à en payer le prix. Il s'apprêtait à pousser la porte ornée d'un gros œil peint à la chaux quand celle-ci s'ouvrit d'un coup. La Girouette se poussa vivement sur le côté mais heurta violemment l'homme en train de sortir. Par réflexe il murmura pardon, chose inutile car l'autre se contenta de remettre en place sa gibecière et s'éloigna sans dire un mot.

la Girouette le regarda un instant : sa démarche souple était celle d'un voleur, et brusquement le garçon s'inquiéta. Il fit le tour de ses poches, sa bourse était toujours là, son pendantif aussi... C'est alors qu'il remarqua le paquet au sol. Il se pencha, le ramassa. C'était un objet aussi long que la main, lourd, emballé dans un papier ciré. La Girouette le prit et cria :

- Monsieur, attendez !

L'homme ne réagit pas, le garçon courut derrière lui. Il avait pris à droite, sous une arche basse en pierre qui débouchait à un espace très haut.

- Monsieur...

La suite de la phrase resta en suspens : à l'instant où le foirineux encore à vingt pas se retournait, un carreau d'arbalète vint le saisir en haut de la joue et ressortit par derrière, à la base du cou. L'homme émit un gargouillement et tomba à genoux. La Girouette allait se précipiter à son secour quand il entendit un grattement en hauteur. Il leva les yeux. Le long du mur une créature aux membres mous était en train de descendre à la manière d'une araignée, tête en bas. Un second tir d'arbalète, venu de plus haut encore, siffla aux oreilles du garçon qui réalisa enfin le danger et se mit à courir dans l'autre sens. Un bruit visqueux dans son dos lui fit comprendre que la créature des poutres s'était laissée tomber au sol, il accéléra. Il était au niveau du porche quand un carreau se ficha dans la pierre à une coudée à peine de sa tête. La Girouette nota que la tige était en métal noir, osa se retourner. Le tireur était toujours invisible, mais la créature, elle, l'était un peu plus. Assez grande bien que repliée sur elle même, elle courait sur ses quatre pattes et fonçait droit sur lui.

la Girouette prit le couloir qui menait à la salle du montreur de Zorgs, plongea au milieu de la maigre foule. Il y eu des bruits, des cris même, mais le garçon qui se doutait bien d'où venait ce trouble ne prit même pas la peine de ralentir. Il s'attendait à être percé de flèches au moment de passer devant l'embarcadère mais il dépassa la digue sans encombre et sauta sur sa barque.

Ce n'est que plus tard, dans la solitude d'un canal secondaire du cloaque qu'il réalisa qu'il n'avait pas eu le temps de prendre ses médicaments. Il ne lui restait que le paquet perdu par l'étranger... Rageusement, le garçon défit le papier huilé pour voir ce qu'il y avait à l'intérieur.

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