30 mai 2009

LA PASSERELLE

La Girouette compta jusqu'à cinq, prit une grosse inspiration et poussa la porte. Il avait surveillé l'entrepôt un long moment depuis la rue, sans voir ni sergot ni foirineux, ni surtout l'ombre de la créature amorphe qui avait tenté de l'attaquer plus tôt dans la soirée. A l'intérieur tout était plongé dans l'obscurité. Une vieille odeur de crotte de zorgs empoisonnait l'atmosphère, mais à part ça rien ne distinguait ce dock des dizaines d'autres qu'on trouvait à ce niveau de la ville.
Pas très rassuré, la Girouette lança un "y'a quelqu'un?" fragile comme l'envol d'un épicail nouveau-né. Il lui sembla entendre un bruit dans le fond et il s'y dirigea à pas de loup. Un second bruit, plus net, lui fit dresser l'oreille: cela ressemblait à un choc, là, juste derrière cette caisse. Il fit le tour. Rien, si ce n'était une pierre. La Girouette se retourna au moment où une personne sortait de l'ombre.
- Bouge pas! Qui es-tu?
Le garçon resta immobile, cherchant à mieux voir l'intrus, ou plutôt l'intruse. Il se détendit en réalisant que la fille devant lui était à peine plus grande que lui. Elle fit un pas de plus vers lui et il remarqua dans le même temps son calicot bariolé et la lame qui brillait dans sa main. Il balbutia:
- Je suis la Girouette. Je devais vous amener la clef.
La fille le détailla un instant en plissant les yeux, puis son couteau disparut dans un repli de sa robe aux couleurs vives. Sa voix était étonnamment rauque:
- C'est toi le souffreteux? T'as la clef? Montre!
Prudemment, il ouvrit son sac et sortit le tube de métal. Quand elle tendit la main pour le prendre le garçon secoua la tête et ferma le poing. Cela fit rire la fille.
- T'inquiète, je vais pas te la voler!
- C'est pas ça, mais on m'a promis que...
- Ouais, je sais, mais tu vois bien qu'il y a personne ici. Pour ton médicament, il va falloir attendre. Au fait, je m'appelle Faustine.
Puis, sans attendre sa réponse, elle s'éloigna vers la porte. Des dizaines de questions se bousculaient dans la tête du garçon, mais il n'eut pas le temps de les poser car au moment où la fille tournait la poignée et passait la tête dehors, un sifflet retentit.
- Tour putassière, les sergots!
Elle attrapa la main de la Girouette et l'entraîna à travers la rue, coupa par une venelle et commença un sprint vers la passerelle de Fourtombe. Derrière, le policier s'époumonait dans son sifflet. "Grimpe!" souffla Faustine quand ils arrivèrent au pied de l'échelle. Il y avait de la violence dans ses yeux et le garçon ne douta pas un instant que s'il lui prenait l'idée de traîner, elle utiliserai son couteau sans hésiter. Il monta les barreaux quatre à quatre. De droite et de gauche, les bâtiments du quartier semblaient n'être que de vulgaires pliages de papier gris abandonnés par un enfant mesquin.
Arrivé en haut le premier, il profita d'un instant de répit pour reprendre son souffle. La fille était monté sur ses talons mais elle prit un moment pour laisser sur le sol de minuscules billes de métal. Avec un sourire pervers, elle fit signe à son compagnon de reprendre la course. Le sifflement du policier s'était rapproché mais les galoches à clous du sergot ne le protégeait pas du piège. Il manqua basculer de la passerelle et ne dut son salut qu'à un réflexe qui le fit se rattraper à la rambarde, les jambes dans le vide. Quand il se remit péniblement sur ses pieds, les deux enfants avaient disparu.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire